#PayeTonStatut, pétition pour un statut européen des artistes.
On va encore me dire que je suis en rogne. On aura raison… je suis aussi actuellement en crise de dépression. Une petite, certes, mais conséquence d’une année pénible, et qui annonce une nouvelle année qui pue encore plus. Pour info, tous les secteurs créatifs sont en crise, et ça pue la merde… et l’arrivée des IA génératives, qu’on a pas besoin de payer, elles, qui peuvent voler et plagier n’importe quel taff de manière quasi automatique (non, sérieux, si vous savez pas écrire un prompt correct au bout de trois ou quatre heures d’essais et d’un peu de documentation, vous êtes un blaireau, assumez !), et qui peuvent remplacer n’importe quoi, du rédacteur au storyboarder en passant par le designer, le scénariste, les interprètes, les doubleurs et même les traducteurs, est un peu comme la poignée de clous pour fermer le cercueil de ma profession.
Les artistes-auteurs, mais aussi les interprètes, au sens large, ne sont pas en transition. L’IA générative, telle qu’elle est exploitée par des groupes, des patrons et des particuliers, ne modifie pas la profession : elle la remplace. Et la détruit, en utilisant, pour la remplacer, la création et le travail des artistes-auteurs et des interprètes !
Comprenez-moi bien. Je suis admirative des progrès des algorithmes d’intelligence artificielle. Les IA ont été conçues avant tout comme une sorte de rêve de l’humanité de créer, un jour, une autre intelligence, une autre vie consciente, qui vienne nous parler de nous, et poser un regard externe, sur nous. Ca date pas d’hier, mon scientifique préféré, Turing, en rêvait déjà au début des années 50. L’IA a d’abord été pensée pour parvenir à régler facilement des problèmes insolubles, comme le repliement des protéines, et toutes formes de compilation de données gigantesques qui sont hors de portée des capacités humaines, genre le trading haute fréquence. Elle a été perfectionnée pour être capable de nous offrir des outils de traduction réellement performants, dépassant le mot à mot, pour faciliter notre communication. Elle a été perfectionnée pour, à partir de toutes nos découvertes, nos données, nos inventions, trouver de nouvelles méthodes médicales, pharmaceutiques, industrielles. Qu’on pouvait trouver, hein ? Mais ça nous aurait pris quelques dizaines de millions d’années à la vitesse de nos meilleurs cerveaux conjoints. Et je ne fais que brosser la surface des incroyables innovations que les IA permettent.
Et puis, il y a six ans, des petits malins géniaux se sont rendu compte qu’avec image et voix de synthèse, et des moyens accessibles à n’importe qui, on pouvait modifier et sonoriser une image ou un bout de vidéo et créer des Deepfakes tout à fait crédibles. Il y a trois ans, des chercheurs ont imaginé un procédé permettant de synthétiser à la perfection le style d’un artiste, pour recréer un tableau qui n’a jamais existé, tout à fait semblable à ce qu’il aurait peint : le Projet Next Rembrandt. Et il y a deux ans, est sorti le premier outil grand public de génération par IA d’images par ce procédé, et vous connaissez tous MidJourney. Des algorithmes comme cela, il y en a maintenant des dizaines, à la portée de n’importe qui. Leur base de donnée ? Tout ce qui est affichée sur Internet. C’est-à-dire tout. Un artiste qui veut se faire connaitre et vendre son travail mets forcément ses œuvres sur Internet : il n’a pas le choix, mais impossible d’empêcher les outils de base de données des IA d’y accéder, que ce soit légalement ou techniquement ; un vide juridique total, et aucuns outils techniques pour éviter le pillage. Et plus il est connu, plus il est plagié et copié et plus les IA génératives sont alors entrainées à le plagier de mieux en mieux…
Il n’a pas fallu six mois pour que, alors que je ne suis franchement pas connue, franchement pas célèbre du tout, un site de vente en ligne polonais mette en vente des dessins noir et blancs semblables à mon travail au point de s’y tromper totalement (même moi, j’étais bluffée!!) parmi une collection entière d’œuvres prétendues originales, en noir et blanc. Ma signature inclue. J’ai pu le faire fermer. Mais combien d’autres en ce moment ? Combien d’entreprises concluent, en toute logique financière, que c’est génial et autrement moins cher que d’engager des artistes, puisqu’on peut copier leur talent et leur style sans leur demander, pour obtenir pareil, pour quasi aucun coût, et infiniment plus vite ? Combien de plagiaires, faux artistes, proposant leurs services au prix de quelques euros, en dépeçant notre travail ? Quand même le journal le Monde fait un dossier spécial avec une couverture réalisée par IA générative, en espérant que ça passera crème, tu sais comment ça va finir dans un an ou deux…
Et on y est déjà. Si les grandes entreprises de jeux vidéos virent beaucoup de personnel en ce moment, il est intéressant de voir précisément dans quels domaines ils virent du monde : le design graphique et les codeurs. Car les IA génératives sont très douées pour plagier du code et te ressortir tout ce que tu veux, parfaitement fonctionnel, en quelques promptes de demandes précises. C’est tout bénéf si tu veux économiser des salaires ! C’est moins bon que de l’art ou du code fait à la main avec talent et imagination ? Mais tout le monde s’en fout, de ça. Tant que t’as du résultat pour peanuts, et qu’il peut être commercialisé, c’est tout ce qui compte.
Donc, oui, je suis en rogne, triste, abattue et déprimée, ouais…
Alors… alors, ben on continue, et on défend son bout de steack comme on peut… et je ne suis pas agricultrice syndiquée de la FNSEA… et surtout, j’ai pas de tracteur, de benne et de tonnes de gravats à aller déverser sur les routes.
Alors, voilà… on a une pétition. Lancée par La Ligue des Auteurs Professionnels, elle demande un Statut Européen des Artistes, une forme de protection syndicale et juridique enfin officielle de notre statut et de nos professions. Et c’est pas parce qu’on veut le beurre et l’argent du beurre, je vous vois venir les petits râleurs au fond à droite. C’est parce qu’on est en train de se voir crever ; c’est parce que tel que c’est parti, je sais pas ce que je serai, moi-même, et dans quel état, cette année, mais je sais que ça va être la grosse merde.
Alors, venez, signez, partagez, diffusez, s’il vous plait. Un immense merci d’avance.
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