Le jeu de rôle, c’est comme du cinéma (conseils de jeu)
Ou presque, et oui, mais non. Bref, ce matin, je me suis rappelé que j’avais causé de cela y’a longtemps et que c’était devenu une partie des conseils de jeu pour Les Chants de Loss, mais que cela pourrait intéresser tous les pratiquants. Et puis, vous allez apprendre éventuellement de nouvelles expressions ! Alors, acte, avant que je ne retourne à mon boulot en retard !
Dans une histoire narrée, que ce soit littérature, cinéma ou théâtre, nous sommes dans un cadre où chaque rôle ne sort jamais des actions prévues et où le dénouement de chaque intrigue est connu d’avance par les acteurs, ce qui n’est pas du tout le cas des PJ dans une partie de JDR. Ces derniers n’ont ni script à suivre, ni texte de dialogues à réciter, mais de l’improvisation complète en termes de paroles et d’actions, avec les autres joueurs et le MJ, pour mener l’intrigue telle qu’il leur paraît logique qu’elle aille et en devenir les héros.
Tout cela pour dire que la comparaison du jeu de rôle au cinéma tient surtout dans les outils et ressorts narratifs qu’on peut exploiter : nous allons ici vulgariser et adapter des moteurs narratifs courants, qui sont totalement déclinables en jeu de rôle, et vous expliquer un peu quoi faire avec et comment ne pas en abuser.
3-1 La scène de générique
Toute bonne série ou tout bon film commence par une première scène de générique. Et pour citer un professeur de cinéma, Mr Douchet qui citait lui-même Lynch : « tout le sujet d’un film est contenu dans sa première scène ». En bref : si la scène de générique est ratée ou sans saveur, vous avez toutes les chances de vous taper un navet.
En jeu de rôle, c’est un peu pareil. On distingue deux étapes avant ce moment de scène de générique :
- Avant le début de la partie de jeu, il y a l’arrivée des joueurs, l’installation, les salutations et discussions, la préparation de la partie et les moments de blagues de gens heureux de se réunir.
- Et il y a le commencement de la partie : ce moment crucial où vos joueurs en sont encore sans doute à parler de leur semaine de boulot ou de leurs déboires romantiques et n’ont aucune incitation particulière à entrer dans la peau de leur perso, d’un coup d’un seul.
Il va donc falloir donner aux joueurs la motivation d’entrer dans votre univers, la partie de jeu de rôle et la peau de leurs personnages. Pour cela, un bon outil cité plus haut est le générique musical. Une alternative utile, surtout, pour des aventures suivies ou une campagne, c’est de demander un rapide résumé du ou des derniers épisode(s) à un des joueurs. En plus de rafraîchir la mémoire de tout le monde, cela les incite à se concentrer sur les actions et péripéties des personnages.
Dès lors, la première scène de jeu doit donner le ton de votre intrigue et son sujet. Si vous faites commencer la partie dans une auberge, cela doit avoir un sens, une mise en scène qui doit mettre les joueurs et leurs personnages en situation immédiatement ; il faut donner vie au décor et aux gens qui le peuplent, par simplement les décrire et ce même si l’auberge brûle dans la première scène de votre histoire. Si vous voulez commencer les choses sur les chapeaux de roues et donner le ton d’une action effrénée, votre histoire débutera brutalement : par une soudaine explosion/catastrophe/bagarre ou tout autre événement violent et qui se mets en place en un instant sans que les PJ puissent faire autre chose que d’y réagir, et surtout pas l’anticiper. Bref, pour cela, il faut alors décrire un truc rapide et qui bouge vite ; il faut parler vite et fort, en phrases courtes et poser la question à un jour, puis un autre : « qu’est-ce que tu fais ? ». Personnellement, si le joueur hésite, je passe directement au suivant sans attendre. Je n’oublie pas le joueur délaissé, mais mon comportement met alors les joueurs sous pression. Et je sais alors qu’ils sont dans l’action et vont y rester tant que je saurais les captiver !
Ainsi, vous pourrez vérifier la citation de Lynch : si votre intro et votre générique sont réussis, la partie a de bonnes chances de l’être aussi !
3-2 La trêve de l’incrédulité
Est-ce que vous vous demandez quelle technologie et énergie font voler les taxis et voitures de flic dans Blade Runner ou Le 5ème Élément ? Non, a priori. Avez-vous ressenti le besoin impérieux de comprendre selon quelles règles fonctionne la magie dans les films Harry Potter ou Le Seigneur des Anneaux ? Était-ce vital pour vous d’avoir une théorie scientifique expliquant les capacités de Néo dans Matrix ? Dans l’immense majorité des cas, ce sera toujours : non. Cela fonctionnait au sein de l’univers du film et dans sa cohérence propre, donc ça n’avait pas d’importance.
C’est ce qu’on appelle la Trêve de l’Incrédulité (nommé en cinéma la suspension volontaire de l’incrédulité). Celui qui fait que, par exemple, vous êtes transporté par la violence inouïe et spectaculaire de la première scène du film Transformers… sans jamais que votre cerveau vous fasse remarquer que c’est juste du n’importe quoi. Vous n’êtes pas dupes, vous le savez. Mais c’est spectaculaire, c’est distrayant, c’est cohérent dans l’histoire et l’intrigue et donc c’est totalement acceptable, même si les lois de la physique viennent d’agoniser dès la première scène.
En jeu de rôle, la Trêve de l’Incrédulité, c’est cet accord tacite signé entre joueurs et MJ pour admettre que ce qui va se passer dans l’intrigue et l’aventure est plausible et ne sera pas remis en question – tant que cela semble tenir la route. C’est ce qui évite de soudain digresser pendant 2 heures dans les Chants de Loss sur la physique des navires lévitants, ou passer des plombes à expliquer pourquoi dans notre système de jeu les gens peuvent éviter les balles alors que dans d’autres jeux de rôle, on peut s’asseoir sur cette idée.
La Trêve de l’Incrédulité est là pour régler tous les micros-illogismes qui émaillent les récits depuis la nuit des temps. En JDR, le joueur admet que tout ne peut être parfaitement logique ou scientifique, mais qu’il ne remettra pas en question cette Trêve tant que sont respectées les règles suivantes :
- Cela doit paraître cohérent, non pas avec la réalité physique, mais avec celle de l’histoire et du contexte. Sont cohérents dans un monde de space opera les plus incroyables vaisseaux spatiaux possible. Mais si vous décidez d’y rajouter une tortue spatiale portant quatre éléphants soutenant eux-mêmes un disque-monde sur leurs épaules, vous allez devoir très sérieusement trouver une explication !
- Cela doit servir l’intrigue : si vous inventez le canon laser anti-planète basé sur la technologie du sabre laser avec un cristal géant… soit ; mais il doit servir l’intrigue. Ce truc-là, il doit finir par être détruit, devenir l’enjeu d’un conflit à grande échelle ou se faire dérober par tout le monde. Un objet aussi hors-norme choque aisément la crédulité des joueurs : pour qu’ils acceptent de revenir à la Trêve de l’Incrédulité, cela doit servir à quelque chose d’absolument majeur dans votre intrigue.
- Plus la Trêve de l’Incrédulité est exploitée avec finesse, mieux elle passe. C’est comme les effets spéciaux et les gadgets au cinéma. Plus ils semblent plausibles et paraissent ressembler au monde réel, même s’ils ne le sont pas, plus le spectateur y adhère.
3-3 LE fusil de Tchekhov
Cette technique narrative au nom étonnant est un truc que vous voyez très souvent dans vos films et séries, et qu’on appelle aussi le Paiement Dramaturgique. Pour l’expliquer, je vais décrire le Fusil de Tchekhov par son exemple le plus concret :
« Si, dans la première scène, vous avez accroché un fusil sur le mur, alors dans la suivante, il devrait être utilisé. Autrement, n’en mettez pas là. »
Anton Tchekhov
En JDR, cela veut dire que tout ce que vous décrivez dans un décor, en tant que MJ, devrait l’être à dessein. Car il sera exploité par les joueurs d’une manière que vous n’aurez sans doute pas prévue. Ainsi un râtelier d’armes dans une salle de garde, s’il est décrit, devient important. On devine qu’il y a toujours un râtelier dans une salle de garde, mais, si le MJ prend le temps de le décrire, le joueur va forcément en tenir compte et s’en servir !
Le MJ doit alors y penser : tout ce qui est introduit dans le décor peut devenir un Fusil de Tchekhov, le mieux étant alors de bien anticiper ce qui deviendra un. Exemple : un sbire armé de grenades ; c’est un sbire, ce qu’il porte sur lui est de peu d’importance dans l’intrigue. Mais s’il est décrit par le MJ comme couvert de grenades, ces grenades VONT servir. Si le meneur de jeu n’a pas songé qu’elles allaient servir à ses joueurs, il se peut que la suite de son intrigue en soit explosivement bouleversée.
Pourquoi on appelle cela le Paiement Dramaturgique ? Parce que dans un film, un roman ou un épisode de série, quand on décrit ou insiste sur un objet destiné à être un Fusil de Tchekhov, le spectateur va le noter : quand plus tard, il va révéler son utilité dans l’intrigue, le spectateur se sentira récompensé d’avoir noté cet objet anodin, mais qui ne l’était pas. Il se sent donc « payé » de son attention à l’action et au décor.
3-4 Le Deus Ex Machina
Le point le plus polémique des outils narratifs, issus du théâtre et employés en JDR est le Deus Ex Machina, traduit du latin par : « dieu issu de la machine ». Mais qu’est-ce donc ?
À l’origine, il tire son nom d’un mécanisme du théâtre grec antique, servant à faire entrer en scène une ou des divinités pour résoudre une situation désespérée. L’expression décrit désormais toute résolution d’action qui ne suit pas la logique interne du récit, mais permet de conclure la scène de la manière désirée : c’est l’événement improbable qui vient régler les problèmes des protagonistes à la dernière minute, l’apparition soudaine d’un imprévu qui semble sortir de nulle part, pour résoudre une situation bloquée. C’est le débarquement des alliés des joueurs qui leur viennent en aide à un moment critique. C’est le grand méchant qui au lieu de mourir, chute dans l’eau pour disparaître et sera sauvé plus tard par ses comparses.
Le Deux Ex Machina n’est pas une tricherie. C’est un outil narratif qui permet de créer de puissants rebondissements, mais, comme tous les outils, son abus rendra l’histoire sans intérêt autant que le refus d’en user peut envoyer l’histoire dans une impasse. Par exemple, dans le roman les Chants de Loss, tome 2, j’en emploie un au chapitre 10 : les héros sont victime d’un assaut en règle dans leur maison et clairement ils vont perdre, jusqu’au moment où débarquent pour les sauver les « Séraphins », un groupe d’agents de l’Elegio dont le lecteur n’a jamais entendu parler. Cette intervention crée un rebond dans l’intrigue, ouvrant de nouvelles pistes dans la narration. Il participe donc alors de l’histoire et de son avancée.
Le Deus Ex Machina doit toujours être employé avec parcimonie. Il doit suivre une certaine cohérence, même si elle est externe au récit en cours. Il doit pouvoir se raccrocher à l’intrigue et au récit dès qu’il est employé et ouvrir de nouvelles opportunités et pistes. Ne s’en servir que pour sauver les joueurs ou les grands méchants n’a pas d’intérêt. Il doit être pensé comme un élément majeur ayant des conséquences dont il faut tenir compte. Il doit avoir été anticipé, et surtout pas improvisé.
Mais quand en jeu de rôle une situation est bloquée irrémédiablement, ou se déroule de manière totalement contraire à l’objectif visé pour le plaisir des joueurs et le déroulement de l’intrigue générale, il ne faut en aucun cas hésiter à s’en servir. C’est à cela qu’il sert, ce serait dommage de s’en priver, non ?
3-5 Le McGuffin
Si vous avez vu le film Mission Impossible III, il y a dans son intrigue un objet nommé la « Patte de Lapin » dont on ne saura rien –sauf des théories fumeuses- de toute l’histoire. Pourtant tout le récit tourne autour de lui. La Patte de Lapin, c’est un McGuffin. Le terme a été inventé par Hitchcock qui le définissait ainsi :
« Au studio, nous appelons ça le MacGuffin. C’est l’élément moteur qui apparaît dans n’importe quel scénario. Dans les histoires de voleurs c’est presque toujours le collier, et, dans les histoires d’espionnage, c’est fatalement le document. »
Un McGuffin c’est un objet matériel qui sert de prétexte au développement de l’histoire. Il est toujours mystérieux, sa nature toujours vague et finalement sans importance. On peut l’apercevoir, mais il gardera son secret et, en fait, il n’est là que parce que des gens doivent lui courir après ou le trouver et d’autres le mettre à l’abri.
Mais un McGuffin peut aussi être immatériel et être un secret. L’exemple le plus connu est celui de la théorie des envahisseurs extra-terrestres dans la série X-Files. Au fil des saisons, on en saura toujours plus sur ce secret gouvernemental à l’échelle mondiale, mais jamais il ne sera clairement dévoilé ou mis à jour. Ce n’est pas important : ce qui a été important, c’est qu’il a été l’un des moteurs des aventures de Mulder et Skully depuis le premier épisode.
En JDR le McGuffin reste un peu plus ardu à employer : dans un film, un roman ou une série, le spectateur ne sera pas frustré de ne pas savoir vraiment ce qu’était l’objet. Il a eu droit à une belle histoire et la vraie nature du McGuffin regarde avant tout les héros. Mais en JDR, les héros de l’histoire sont les PJ. Ils voudront tôt ou tard savoir après quoi ils courent ou qu’est-ce qu’ils tentent de mettre à l’abri. Un McGuffin en JDR doit donc devenir un enjeu réel et ayant une finalité et des conséquences à en connaître la nature. En fait, il ne peut finir que de deux manières : il sera soit révélé aux PJ, ou alors, il disparaîtra totalement. Mais comme rien ne disparaît à jamais, pensez toujours à bien définir en JDR ce qu’est vraiment votre McGuffin… car vos joueurs finiront tôt ou tard par tout faire pour le savoir.
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