Quand un éditeur veut des dessins gratuits parce que ça ne vaut rien
A la base, je devais poster ce soir quelques travaux en cours de mes derniers jours de boulot, mais le hasard et mes contacts sur Facebook en auront décidé autrement.
C’est amusant, mais seulement comme un comique de répétition, c’est à dire qu’à la 25ème fois ça lasse. Mais toutes les semaines, il y a un projet de communication/offre de collaboration pour des illustrateurs qui implique qu’ils vont bosser gratuitement.
Il en vient de grosses structures, comme la SNCF récemment, proposant à des artistes de réhabiliter leurs vieilles ruines contre… heu rien, même pas le prix de la peinture et du plâtre. Mais on est gentil, on vous laisse vous amuser dessus.
Et puis, il y a les éditeurs et le monde des romans, aussi, avec forcément moins de moyens, qui tentent de trouver comment valoriser leur produit en sortant des offres dont le ridicule le dispute à l’injure et au mépris.
L’exemple récent ?
Dégustez, ceci me vient d’une réponse par mail faite à une illustratrice professionnelle de 30 ans, qu’on m’a partagé pour me la signaler :
« Bonjour,
Je pense que mon message a été mal interprété.
Je ne recherche pas de professionnels. Je recherche des dessinateurs/illustrateurs en devenir qui souhaitent se faire plaisir en ayant leur dessins/illustrations dans des romans (à l’intérieur, et non les couvertures).
Il n’y a pas de contrepartie financière (juste 2/3 romans offerts), car des dessins/illustrations dans nos romans n’apportent pas de ventes supplémentaires. Il s’agit juste de faire plaisir aux dessinateurs/illustrateurs ainsi qu’aux auteurs.
C’est donc un petit plus mais pas nécessaire.
Je ne pense pas que cela soit intéressant pour vous…
Je vous souhaite une très bonne journée.
Cordialement,
Astrid Lafleur.
Editrice
Rebelle éditions «
En effet, je confirme, ça ne risquais pas d’être intéressant pour une professionnelle… Mais en fait, c’est le contenu du message qui le devient, sans doute à l’insu du plein grès de Rebelle Edition. Je m’explique :
» … car des dessins/illustrations dans nos romans n’apportent pas de ventes supplémentaires. Il s’agit juste de faire plaisir aux dessinateurs/illustrateurs ainsi qu’aux auteurs. »
Ok… donc, quand on fait des illustrations dans un roman, cela n’a aucune valeur ajoutée ; donc on peut contacter des illustrateurs juniors pour leur en demander, ils ne seront pas payé, ça leur fera plaisir, de toute manière, ça ne vendra pas plus de bouquins.
Ok… si ça ne sert à rien, pourquoi le faire ?
Parce que la réalité, nettement moins compatissante envers ces pauvres junior en quête désespérée de travail gratuit à faire (sic), c’est que des illustrations, ça coûte cher, et Rebelle Edition n’a pas les moyens de payer ce genre de choses. Mais encore une fois, l’injure qui consiste à dire que c’est un cadeau offert aux illustrateurs-juniors est sûrement une maladresse à l’insu de leur plein gré. Des tas d’éditeurs et de spécialistes de la communication n’arrêtent pas d’en faire en ce moment, c’est une mode.
Un illustrateur junior, c’est, dans la plupart des cas, un gars qui sort d’écoles et de formations de plusieurs années, qui doit se créer un portfolio solide et de bonnes références, et qui pour arriver à vivre est en général forcé de faire un taff alimentaire bien merdique, et dessiner ses 5-7 heures au soir penché sur son papier, pour des émoluments à la hauteur de sa notoriété, c’est à dire pas grand chose. Mais pire, les 90% du temps où il pratique son VRAI métier, il le fait pour essaye de produire des œuvres magnifiques, dans le ton, dans la mode, le tout pour attirer des clients. Les premiers temps, sauf coup de bol cosmique ou contrat juteux, s’il gagne 350 € par mois de ses dessins, c’est un bon début.
Et ça, ça va durer deux-trois ans…. voire plus en ce moment, parce que l’époque n’est pas vraiment propice aux contrats bien payés et aux clients à foison.
Alors on va me dire : oui, mais alors pourquoi ne pas accepter de bosser pour rien ?
Parce que vous êtes d’accord pour bosser pour rien vous ?… Je n’appelle pas un plombier débutant pour lui demander de refaire ma robinetterie pour rien, sauf le plaisir de la voir trôner dans ma cuisine. Pareillement, ce n’est pas en bossant pour des prunes qu’il va grâce à ma promotion trouver des clients payants. Il est sûrement plus évident que mes amis voudront profiter de la bonne poire qui bosse pour rien… après tout, pourquoi se gêner, il l’a fait une fois, il peut le refaire ?
Mais enfin et surtout, si mettre des images dans des livres ne servait à rien et n’en aidait pas à les vendre et augmenter leur valeur, il n’y aurait donc aucune illustration ni dans les livres, ni dans les magazines. Depuis le temps, hein, cela se saurait ?
C’est donc un double foutage de gueule de notre profession (un de plus, encore une fois, ça n’arrête jamais, c’est un par semaine en moyenne, et je pense que j’en loupe 80%), qui continue à être prise dans le monde professionnel comme un boulot de doux idiots feignasses et rêveurs dont les conditions de travail peuvent être ignorés et que l’on peut à loisir prendre pour des crétins.
La seule chose qui me fait plaisir, pour conclure, c’est que l’éditeur a finalement rétropédalé sur sa recherche, en ces termes :
« Nous ne cherchons plus d’illustrateurs « en herbe ». Suite à des réactions qui ont été trop loin de la part de quelques personnes amères (et pas du tout fan de Rebelle et de ses auteurs), nous nous passerons des illustrations dans nos romans futurs.
Comme a été dit par ces personnes-là, puisqu’on ne peut pas payer, il n’y aura pas d’illustrations intérieures. Ce message concerne également les futures réimpressions des tomes des Etoiles de Noss Head. Comme ça, il n’y aura plus de polémiques. »
J’adore le choix de certains termes dans ce message histoire de se dédouaner totalement et ne fournir ni excuse, ni expression du moindre regret pour la maladresse injurieuse et méprisante de leur courrier. Vous leur trouverez sûrement des circonstances atténuantes. Pas moi. Bon vent, Rebelle Edition, à ne pas te recroiser.
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