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L’interview perdue…

Oui, c’est un peu étrange dit ainsi, mais c’est bien le cas. Fin 2018, une chroniqueuse me contacte pour me demander une interview, qui sera diffusée dans des magazines web en même temps qu’une critique des tomes 1 et 2 des Chants de Loss. Début 2019, elle m’envoie les questions auxquelles je répond, et lui renvoie et puis… et puis, plus rien. J’avais un peu oublié ça, depuis, mais il y a quelques jours, alors que je fais du ménage numérique pour accueillir mon nouveau PC, je tombe sur l’interview, qui était très chouette. Je tente d’avoir encore des nouvelles, cherche en vain le site de cette chroniqueuse ou ses comptes de réseau sociaux, sans résultats ; elle a disparue.

Reste l’interview. Je regretterais de la perdre, alors, la voici : elle concerne mes romans et j’y dévoile deux ou trois choses assez intimes.

– Bonjour, Axelle, peux-tu commencer par te présenter en quelques mots ?

Eh bien, en résumé, je suis illustratrice professionnelle, romancière et autrice de jeux de rôle. Je suis née en Normandie, j’ai grandi en Corse, dont j’ai appris la langue et j’ai pas mal bougé dans toute la France avant de m’installer dans mon pays d’adoption, la Suisse. Je vis dans le Valais. Techniquement, mes premières rencontres avec le monde de la littérature datent du jour où une rédaction que j’avais transformé en nouvelle de science-fiction de 25 pages, au collège, a été publiée au Cahier des Étudiants, dans les années 80. J’ai presque toujours autant adoré écrire que dessiner, mais l’idée d’écrire des romans m’avait quitté pendant mes études d’arts plastiques : on ne peut pas tout faire. Et, soyons sincère, ma passion, c’est l’art, et surtout, quand j’étais jeune, la bande dessinée. J’ai plusieurs fois écris, mais pour développer des univers, des nouvelles littéraires en contexte ou scénariser de la bande dessinée ; jamais pour romancer, en tout cas, pas sérieusement. 

En fait, je ne me suis lancée que très tardivement, vers 2014, sur l’incitation d’Igor Polouchine, un ami, à un moment où j’attaquais une année entière de dépression et de gros vide créatif suite à un échec professionnel qui m’avait profondément affectée. Je suis un peu partie à l’aveuglette, je ne connaissais pas le métier (oui, c’en est un !), je savais pas trop comment m’y prendre ; je ne savais pas que j’aimerais autant cela. Je ne savais pas que cela aurait tellement d’impact sur ma vie et ma carrière, ainsi que ma célébrité, même si elle reste vraiment très relative. Je ne savais pas non plus que c’était si ardu d’écrire ! Je le répète, c’est un métier, qui doit s’apprendre et ne s’improvise pas.

– Commençons par une question facile. Tu catalogue Les Chants de Loss comme du roman de science-fantasy Da Vinci-punk. Le science-fantasy se ressent vite, mais peux-tu nous dire ce que tu appelles le Da Vinci-punk ?

Alors en général, perso, je parle de planet-fantasy ; mais le terme n’existe pas vraiment dans les classifications de la fantasy, ce que j’ai découvert il y a peu ! En fait, on parle plutôt de planet-opera, les romans de SF où les héros explorent un monde étranger et exotique. Loss y ressemble assez, mais oui, c’est de la science-fantasy aussi : un contexte du passé avec des éléments de sciences & techniques modernes !

En fait, l’expression Da Vinci-punk n’est pas de moi, mais de Stéphane Gallay, un grand ami, pour décrire les univers de Renaissance et de machines merveilleuses à la Léonard de Vinci. Je l’ai repris à mon compte, et c’est bien tout ce que c’est : une fiction de science-fantasy dans laquelle les hommes ont pu mettre en œuvre et exploiter inventions et des machines merveilleuses qui n’existaient que sur le papier et dans la tête des génies du XVème au XVIIème siècle.

Pour les Chants de Loss, c’est possible grâce à certains matériaux solides qui existent sur ce monde et pas vraiment sur le nôtre à une époque similaire, et grâce au loss-métal, un unobtainium merveilleux qui permets de fournir de l’électricité et de faire léviter des charges lourdes et ainsi, faire voler des navires dans les airs. Mais dans les romans, on croise aussi des automates semi-intelligents, des gramophones, des fours thermiques, des armes merveilleuses, etc. Ce n’est pourtant pas le sujet du roman : le sujet, ce sont ses personnages et leurs aventures. Je m’intéresse bien plus à ce que vivent les gens, comment ils vivent, ce qu’ils ressentent, et leurs aventures, qu’à causer de sciences et merveilles.  Mais le Da Vinci-punk apparait partout dans le décor et parfois dans les intrigues.

(note : Unobtainium est un terme utilisé pour décrire tout matériau fictif ayant des propriétés physiques impossibles pour tout matériau réel. De tels matériaux apparaissent souvent dans des récits de science-fiction.)

– On remarque très vite dans tes trois romans (j’ai lu le troisième tome en cours, que tu pré-publie sur la plateforme Wattpad) l’inspiration liée à ta pratique du jeu de rôle, surtout dans la richesse du contexte et le souci du détail. Peux-tu nous parler de l’influence que le jeu de rôle a sur ta manière d’écrire ?

Ha, je me doute bien que mon inspiration se voit, et pour cause ! Aussi bien les protagonistes principaux qu’une partie des intrigues du roman viennent du jeu de rôle. Elena, Lisa, Jawaad, Eïm ou encore Abba et Damas, pour ne citer qu’eux, sont des personnages de jeu de rôle joué par des joueurs en chair et en os pendant des parties et aventures de jeu de rôle, aussi bien sur table que dans des univers virtuels en réseau. Et leurs aventures, très différentes de ce que je raconte dans les romans, ont pourtant été le socle de mon inspiration : c’est ce qui m’a donné la trame de mes idées, sur lesquelles j’ai alors brodé.

Je sais aussi que je dois avoir le travers des rôlistes : je m’attarde régulièrement sur le décor, le contexte, les détails et les petits faits autour de l’intrigue et de l’action des personnages.  J’ai d’ailleurs très vite été prévenue que c’était un défaut courant des romanciers-rôlistes ; aussi, je me suis contenue pour domestiquer ce défaut et essayer plutôt d’en faire un atout, qu’un travers. Ça n’a pas été simple ! Pour le premier tome, cela a exigé que je retravaille des chapitres entiers… et d’ailleurs, il y a quasiment un chapitre entier qui a disparu, tandis que d’autres, de développement des intrigues et des personnages, ont été écrits pour rattraper ce travers. Après, cela a aussi des qualités, ou tout du moins, j’en ai extrait des atouts : le sens du détail et de la cohérence que je me suis imposés se voient dans la description très vivante du monde de Loss. Je n’ai rien voulu laisser au hasard et il y a autant de pages de notes et de contexte qu’il y a de pages de romans à l’heure actuelle !

– Les deux héroïnes de tes romans, les deux sœurs terriennes Lisa et Elena, sont finalement deux jeunes femmes terriblement violentées, puisant dans leur souffrance leur courage et leur révolte. N’est-ce pas un cliché trop facile qu’il soit nécessaire qu’une femme vive le pire pour devenir forte et se battre ?

C’est un cliché et je le savais. Mais plus que l’assumer, j’assume surtout que j’en avais besoin. Les Chants de Loss est aussi un exutoire. Derrière mon récit, il y a beaucoup de non-dits ; en l’an 2000, j’ai été agressée, torturée et violée en bande, laissée pour morte. Ce jour-là, quelque chose est mort en moi, qu’il a fallu reconstruire, avec ses cicatrices et ses ravages gravés dans ma chair et mon âme à jamais : le courage. Je n’avais peur de rien avant ce jour-là. Affronter des adversaires ou les pires épreuves, qu’elles me tombent dessus parce que c’est la vie et que la mienne fut toujours très mouvementée, ou que je les ai choisies parce que j’ai pratiqué des sports dangereux à haut niveau, ça ne me faisait pas peur, jamais. Mais l’absence de peur, ce n’est pas le courage ; c’est de la témérité, voire de l’inconscience, c’est une absence de vertu, une tare. J’ignorais finalement ce que c’était, le courage. Il m’a fallu quatre ans pour réapprendre à vivre, six ans pour apprivoiser le courage, dix ans pour qu’il ne m’échappe plus. Je suis partie d’un être brisé pour devenir un être inflexible ou, tout du moins, essayer ; avec heureusement, un certain succès.

Cependant, je connais maintenant la peur, je la vis, je la ressens, je la crains, mais je la domine et je sais fonctionner avec. Pendant ce chemin, à un moment, j’ai croisé des gens victimes de traumatismes terribles, viols, tortures, violences, souffrant tous de SSPT (syndrome de stress post-traumatique), soignés comme moi. Pour certains, c’était fini, ou pratiquement. Ils étaient brisés à jamais. Leur souffrance a été ma leçon et mon exemple ; moi, je me suis relevée.

Mais un tel événement me hantera toujours. Le raconter ? je n’aime pas les autobiographies, c’est chiant comme la mort. Alors, j’ai simplement puisé en moi pour raconter une histoire puissante et terrible, qui, finalement, est bel et bien un cliché ! Je l’avoue, sur le coup, moi, je n’y ai jamais songé, c’est plus tard que j’ai réalisé ce fait. Mais ce cliché, qu’on retrouve trop souvent au cinéma, dans les séries, etc… c’est celui que j’ai pourtant vécu, intimement. Pas besoin d’avoir vécu le pire pour devenir forte, pour une femme ; et heureusement ! Mais chaque traumatisme auquel vous résistez, dont vous vous relevez, vous rend plus vaillante, plus déterminée. La faille restera à jamais, mais vous l’aurez colmatée du plus brillant et solide titane. C’est ce que j’ai fais, et c’est ce que j’ai voulu retranscrire à travers les deux parcours très différents de Lisa, la soumise et Elena, la révoltée, qui, toutes les deux, font preuve de courage et, à force de volonté et de prise de conscience du monde de Loss dans lequel elles sont tombées, reconquièrent leur indépendance et tracent à nouveau leur propre destinée.

– Tu dépeint sans complaisance un monde violent et cruel, surtout avec les femmes ; tu admets toi-même que c’est pour toi une manière de dénoncer les ravages du sexisme et du patriarcat. C’était ce qui te motivait quand tu as commencé à écrire tes romans ?

Alors, seulement en partie. Écrire pour écrire ne me tentait pas et puis, j’avais un sujet et une histoire intime à raconter, derrière un récit épique et qui a des accents aventureux et assez pulp, comme je l’explique plus haut. L’esclavagisme est un truc fascinant en terme de fiction (non, parce qu’en vrai, c’est juste horrible, hein !!) mais il va de pair avec une société profondément cruelle, injuste et inégalitaire, en règle générale profondément sexiste aussi. Ça semblait couler de source quand j’ai esquissé l’univers de Loss. Et puis, j’ai des comptes à régler avec le patriarcat et ses ravages, comme avec la religion, l’oppression des dominants sur les faibles, les chaines de la société entravant la liberté, tout ce qui a pour fonction de figer l’homme dans son état pour le forcer à l’accepter au risque de subir le pire, et lui interdire de progresser fraternellement. Pour le coup, forcément, même si avant tout, j’écris des romans pour raconter des histoires divertissantes et émouvantes, le fait est que ces sujets qui me tiennent à cœur se ressentent dans mon récit.

Bref, est-ce que je suis féministe ? Oui, sans hésiter… le féminisme est partie intégrante de l’humanisme. On ne peut pas être humaniste sans embrasser toutes les causes de toutes les minorités et leurs luttes. Pis bon, je me passerais bien d’être féministe en fait : je serai heureuse qu’on en ait pas besoin ! Mais l’humain aime la haine, les clivages et la domination, le sort des femmes n’est pas glorieux sur cette planète alors que nous représentons la moitié de l’humanité. Et améliorer ce sort là jusqu’à l’équité et la justice m’importe et je lutte pour lui !

– Le second tome des Chants de Loss a été publié en 2016 ; nous sommes en 2019 et le troisième tome mets du temps à arriver. Pourquoi un tel délai ?

Eh bien, c’est ma faute, ouais, mais pas exactement que ma faute ou, tout du moins, pas du tout volontairement. Fin 2015, a été lancé le projet de faire des Chants de Loss un jeu de rôle, projet devenu professionnel en 2016. On ne savait pas dans quoi nous nous embarquions mes complices et moi. Et alors que nous en voyons la fin, je dois dire que c’est le travail créatif le plus colossal que j’ai jamais eu à faire de ma vie ! Tout mon temps libre et, depuis un an, quasi tout mon temps professionnel a été consacré à la création du jeu de rôle Les Chants de Loss, et forcément, à mon grand regret, cela a laissé peu de temps pour le tome 3. Mais il avance bien et je pense qu’il sera achevé en Aout ou Septembre 2019.

L’avantage, maintenant, c’est que j’ai un formidable outil de référence, car tout l’univers de Loss a été couché sur le papier, et je n’ai plus grand-chose à devoir inventer quand j’écris mes chapitres au fur à mesure. Des nuits blanches de documentation et des années de rédaction vont bien servir !

– Comment as-tu inventé le personnage de Jawaad (oui, j’avoue que je l’adore) ?

Tu n’es pas la seule, Jawaad a tout un fan club, principalement féminin. Moi je l’appelle le sale con ; c’est un peu le critère auquel je me réfère quand je dois penser à sa manière d’interagir avec les gens. C’est le personnage principal des Chants de Loss, mais ce n’en est pourtant pas le héros et c’est aussi, avec Sonia, le personnage qui m’a demandé le plus de travail de fond. Sans déflorer le mystère de mes romans, il est le personnage-clef de toute l’intrigue des aventures de Loss. Et c’est vrai que s’il est bien plus compliqué et intéressant que juste un sale con misanthrope et imbu de lui, je m’évertue à conserver son image… et la casser régulièrement tandis qu’on découvre qui il est réellement.

Mais aveu que j’ai déjà fais, et refais ici sans hésiter, ce personnage n’est pas de moi ! Il a été créé, et joué en jeu de rôle par une de mes meilleures et plus proches amies, Emilie, qui travaille d’ailleurs sur le jeu de rôle avec Alysia et moi. Je n’ai d’ailleurs même pas changé son nom… ce qui m’a valu quelques déboires avec l’apparition en 2015 d’un autre Jawad, de bien triste réputation.

– Une dernière question : comment tenterais-tu de convaincre quelqu’un de lire tes romans ?

Ho ?… euh… je ne sais pas ! C’est facile de présenter mon roman, mais le « vendre », c’est nettement plus ardu. Hum… je dirais que si le lecteur aime les récits échevelées et héroïques, les histoires émouvantes et poignantes, la violence sans voile mais sans complaisance, les aventures mouvementées et animées, avec des touches de fantastique et de merveilleux, et si, enfin, il aime les univers exotiques, riches et détaillés, alors, il va aimer ce qu’il lira.

Ah oui, et puis, y’a pas d’elfes, de nains, de paladins, de dragons, ni de sorciers dans une auberge ! C’est aussi un argument, non ?