Lettre ouverte aux éditeurs, nos clients.
Illustration humblement emprunté au blog de Ga « un crayon dans la tête ».
Copie, citation, partage, et reprise du contenu complet de cette lettre ouverte autorisée, et fortement encouragée !
Lettre ouverte à Ludopathe Les Zediteurs et à toutes les autres maisons d’édition de jeux de rôle, de société, de jeux vidéos et autres entreprises employant ou recrutant des illustrateurs juniors et seniors sous-payés sans qui elles ne pourraient tout simplement rien produire de ce qui fait leur succès et le plaisir de leurs clients.
Un illustrateur est un indépendant qui gagne sa vie selon le régime des entrepreneurs indépendants. Si sa compétence, c’est de faire des mickeys de plus ou moins bonne qualité et de style varié, cet indépendant ne diffère pas du maçon, du boulanger ou du garagiste matinal venu vous réparer votre tuture en rade. Comme le maçon, le plombier, ou le garagiste, cet entrepreneur paye son matériel, sa formation, ses remises à niveaux, ses frais, ses factures, ses taxes, ses impôts. Il s’est fadé un apprentissage long et souvent ardu, s’est fréquemment endetté et a sans doute commencé par devoir faire du boulot alimentaire avec salaire à la clef, qui n’avait que peu à voir avec sa formation pour pouvoir entamer sa carrière.
Bref, un illustrateur, un graphiste, un maquettiste et toute autre forme d’artiste visant à gagner sa vie en vendant son travail à des clients comme vous, est un ARTISAN, avec les mêmes contraintes et les mêmes aspirations, mais aussi les mêmes règles tacites à respecter dans le métier que celles que respecteraient notre maçon ou boulanger plus haut.
Oui, je sais. Quel culot ont donc ces artistes qui pratiquent leur art pour gagner leur vie ? Et puis quoi encore, ils ne veulent pas en plus être heureux et riches ? Ils prétendent que c’est un artisanat, alors qu’ils sont nés avec le don de faire de beaux petits mickeys ? Qui sont ces outrecuidants qui affirment crânement que leur travail est un métier, et pas une marotte élevée au rang de passion dont tout le monde sait bien qu’elle est inutile : c’est un boulot de feignasse un peu hippie et sans doute débile né avec la chance de savoir dessiner, tout le monde le sait. Tout le monde le dit.
J’entends bien sûr par là que c’est exactement ce que vous pensez si vous êtes de mes exemples introduits plus haut. Et vous vous fourrez donc le doigt dans l’œil si profondément que je pense qu’avec un peu d’efforts, vous devriez pouvoir vous titiller le fondement de l’intérieur.
La grille horaire tarifaire moyenne des artisans indépendants est de 43€. C’est ce que vous payez à votre plombier, votre garagiste, le gars venu refaire votre carrelage, etc. Ce tarif ne comprend pas les prix des pièces et du matériel, non plus les frais de déplacement. Vous voulez faire bosser un artisan à l’heure, il exigera 43€ à l’heure, en moyenne, c’est le minimum horaire. Point.
Le même artisan va vous dire combien de temps prendra le travail que vous lui demandez. Il vous fera un devis, que vous accepterez ou pas. Une fois paraphé ce devis dit clairement combien de temps cela va lui prendre et vous combien vous payerez pour ses services et le temps passé à vous les fournir. Vous ne fixez pas le tarif qui vous plait à votre plombier. C’est lui qui est du métier, c’est lui qui vous les communique. Vous êtes un client. Vous n’êtes pas un patron, sinon il vous faudra embaucher cet artisan selon le régime du salaire mensuel, avec un contrat de travail.
Rappel : un illustrateur est un artisan. Pas un esclave servile, taillable et corvéable à merci, ni un privilégié qui a le « don » (sic) de savoir dessiner et peindre. Un illustrateur est donc payé 43€ de l’heure ; c’est lui qui fixe ses délais de livraison, ses temps de réalisation et ses disponibilités, que le client est seulement en droit de négocier ou refuser pour se passer de ses services.
Vous pouvez toujours passer une offre d’appel, bien sûr. Et passer par la même occasion pour un con si vous ne tenez aucun compte des réalités du travail d’illustrateur en démontrant, et votre irrespect pour notre métier d’artisan, et votre méconnaissance crasse et assumée de ses contraintes et exigences.
Ceci étant dit, rappelons une dernière chose : un illustrateur est une personne qui court après des contrats et des clients, qui essaye dignement comme tout un chacun dans le domaine des artisans et entrepreneurs indépendants de gagner sa vie en fournissant des services avec l’espoir et l’exigence minimale de voir ses clients rémunérer son travail durement appris de manière décente. Une journée de travail d’un illustrateur dépasse allègrement les 8 heures par jour. Le plus souvent, elle fait 12 heures. Le boulanger ou le maçon ou le carreleur ne passent que très rarement seulement 8 heures dans la journée à leur taff, eux non plus. Mais comme on a moins besoin de petits dessins que de réparer des voitures ou se fournir en pain frais, les illustrateurs ne sont pas exactement connus pour être des gens riches et quand ils parviennent à gagner le SMIC, ils se considèrent généreusement payés et reconnus pour leur travail.
Vouloir ainsi donc faire tout pour baisser le tarif horaire, exiger des délais impossibles de réalisation de travail, des délais que vous n’avez aucune légitimité à exiger, car vous êtes clients, c’est le fournisseur de service qui fixe son temps de travail, prétendre pouvoir trouver des esclaves serviles payés à très largement moins de 15€ de l’heure, proposer ce travail à des juniors qui ne connaissent pas ces pièges et que vous pourrez exploiter dans la joie est une injure. Une claque en pleine gueule. Un mépris profond.
Si vous êtes de bonne foi : c’est alors juste la preuve que vous ne vous êtes pas renseigné un seul instant sur le métier et vous avez donc eu la paresse de ne pas passer vingt minutes sur internet pour en savoir plus, ce qui vous rend donc coupable de négligence.
Si vous savez pertinemment quels sont les tarifs horaires minimaux et les règles à respecter pour trouver des illustrateurs : vous avez alors pris le parti d’assumer leur paupérisation, et vous crachez à leur pied tout votre mépris pour leur travail et cette branche de l’artisanat si souvent déjà déconsidéré par des gens qui, eux au moins, ont le mérite d’ignorer les difficultés de cette catégorie professionnelle.
Dans tous les cas, c’est votre responsabilité. Honte à vous de l’assumer.
Axelle « Psychee » Bouet
Illustratrice indépendante et romancière.
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